Idéalisme analytique, panpsychisme, information intégrée : où situer le modèle Strømme ?
Série : “Conscience fondamentale — Nouvelles perspectives entre physique et non-dualisme”
ARTICLE 5
Depuis une vingtaine d’années, la question de la conscience connaît un regain d’intérêt sans précédent dans les sciences et la philosophie contemporaines. Face aux limites du matérialisme strict, plusieurs modèles alternatifs ont émergé, proposant des réponses très différentes à une même interrogation fondamentale : la conscience est-elle produite par la matière, ou constitue-t-elle un élément fondamental de la réalité ?
Ce cinquième article de la série propose une mise en perspective comparative du modèle développé par Maria Strømme avec les principales approches contemporaines : idéalisme analytique, panpsychisme, théories informationnelles, modèles neuro-quantiques et théories de l’information intégrée. En confrontant ces cadres théoriques, il s’agit moins de désigner un vainqueur que de comprendre où se situe précisément la proposition de Maria Strømme, ce qu’elle partage avec ces modèles, et en quoi elle s’en distingue radicalement.
👉 Cet article est réservé aux lecteurs et abonnés de la revue papier « Parasciences ».
Il constitue une étape clé de la série, en offrant au lecteur les repères nécessaires pour situer le modèle de la conscience comme champ fondamental dans le paysage intellectuel actuel, avant d’en examiner, dans le dernier article, les limites et les perspectives.
Introduction : Dans quel paysage théorique inscrire Strømme ?
Depuis une vingtaine d’années, un mouvement profond traverse les sciences de la conscience, la philosophie de l’esprit et une partie de la physique théorique : l’idée que la conscience pourrait être fondamentale n’est plus marginale. L’échec du matérialisme strict à résoudre le “problème difficile” de la conscience, l’essor de la physique de l’information, et les difficultés conceptuelles de la gravité quantique ont ouvert la voie à des modèles alternatifs.
Parmi ces modèles, plusieurs familles se distinguent : l’idéalisme analytique (Bernardo Kastrup), le panpsychisme et la “dualité naturelle” (David Chalmers, Philip Goff), la théorie de l’information intégrée (Giulio Tononi), les modèles neuro-quantiques comme Orch-OR (Roger Penrose & Stuart Hameroff), les théories informationnelles : l’univers comme calcul ou comme structure d’information (John Wheeler, Seth Lloyd).
Maria Strømme, avec son modèle articulé autour d’une “conscience universelle comme champ fondamental”, s’inscrit dans ce courant, mais elle y occupe une place particulière située à la frontière entre physique théorique, psychologie et philosophies non-duelles.
Dans cet article, nous situons précisément sa proposition dans ce paysage, afin d’en comprendre la singularité, les convergences, les divergences et les apports.
-
Idéalisme analytique (Bernardo Kastrup)
Le modèle contemporain le plus proche de Strømme
1.1. Le cœur du modèle de Kastrup
Pour Kastrup il n’existe qu’une seule conscience, le monde matériel est une représentation interne de cette conscience et les individus sont des “dissociations” locales dans ce champ unique.
L’individualité est expliquée par une analogie avec un système psychique présentant des sous-personnalités, ou des processus de dissociation comme en psychologie clinique.

Bernardo Kastrup
1.2. Points communs majeurs
La proximité avec les idées développées par Maria Strømme est frappante :
- Les deux modèles reposent sur une conscience universelle.
- Pour eux la matière est une manifestation, non une substance indépendante.
- Ils considèrent que les individus sont des points de vue partiels ou des “focalisations” locales.
- La séparation entre les consciences est, toujours selon eux, apparente, non réelle.
- Leurs deux modèles empruntent au non-dualisme traditionnel.
1.3. Différences importantes
Trois points les différencient :
- Strømme introduit trois principes (Mind, Consciousness, Thought).
Kastrup reste résolument moniste et ne distingue pas plusieurs facettes ontologiques. - Strømme fait appel à la physique des champs et à la brisure de symétrie.
Kastrup reste dans l’analyse philosophique et phénoménologique, sans recours analogique à la physique. - Strømme insiste sur un processus de manifestation dynamique.
Kastrup parle davantage de représentations mentales.
1.4. Conclusion du parallèle
Le modèle de Strømme peut être vu comme un proche cousin scientifique de l’idéalisme analytique enrichi d’un langage inspiré de la physique moderne et articulé autour d’une ontologie tripartite.
-
Panpsychisme et “dualité naturelle” (Chalmers, Goff)
Une famille d’approches qui prend la matière et la conscience comme co-fondamentales
2.1. Le panpsychisme moderne
Pour Philip Goff et d’autres panpsychistes contemporains la conscience est une propriété fondamentale de toute matière, même les particules possèdent une forme rudimentaire d’expérience, les consciences complexes émergent de combinaisons de consciences simples.

Philip Goff
2.2. La dualité naturelle (Chalmers)
David Chalmers défend une théorie où le physicalisme est insuffisant pour expliquer la conscience, mais il n’est pas nécessaire de nier la réalité physique, la conscience et la matière sont deux faces d’une seule réalité.
2.3. Comparaison avec Strømme
Ils partagent points communs :
- La conscience est fondamentale.
- Le matérialisme strict est rejeté.
- L’expérience subjective est irréductible.
Différences profondes :
- Strømme est non-duelle ; le panpsychisme est dualiste.
Pour elle, seule la conscience est fondamentale.
Alors que pour le panpsychisme conscience et matière sont fondamentales. - Strømme ne divise pas la conscience en “micro-consciences”. Elle défend une unité radicale.
Le panpsychisme, lui, disperse la conscience dans les particules. - Le problème de la combinaison
Le panpsychisme souffre du “combination problem” : comment des micro-consciences s’unissent-elles pour former une conscience unifiée ? Strømme évite ce problème. Pour elle, les individus ne résultent pas d’assemblages, mais de focalisations.
2.4. Conclusion du parallèle
Le panpsychisme est l’approche la plus éloignée du modèle Strømme, car il multiplie les consciences là où Strømme n’en reconnaît fondamentalement qu’une seule.
-
Integrated Information Theory (IIT de Tononi)
Ce chercheur défend une théorie scientifico-formelle, mais toujours physicaliste
3.1. Principes de l’IIT
L’IIT propose une métrique de la conscience (Φ) définie comme le degré d’intégration d’information dans un système et permettant théoriquement d’évaluer le “niveau” de conscience de n’importe quel système.
3.2. Forces :
Son avantage repose sur trois points :
- Un formalisme mathématique ;
- Un système de prédictions testables ;
- Des applications en neurosciences.
3.3. Limites :
L’IIT reste explicitement physicaliste : la conscience émerge des interactions physiques dans un système. Elle ne dit rien de la conscience universelle et ne traite pas le “problème difficile”, mais contourne la question.
3.4. Comparaison avec Strømme
Convergences :
- Importance des structures d’information.
- Reconnaissance de la complexité comme facteur clé.
Divergences :
- Pour Tononi, la conscience est dans le cerveau.
- Pour Strømme, le cerveau n’est qu’un filtre de la conscience déjà présente.
En ce sens, IIT et Strømme appartiennent presque à deux paradigmes opposés.
-
Orch-OR : microtubules, gravité quantique et collapsus (Penrose & Hameroff)
Entre physique quantique, neurobiologie et spéculation contrôlée
4.1. Le modèle Orch-OR
Penrose et Hameroff proposent que la conscience émerge du “collapsus objectif” (OR) de la fonction d’onde, orchestré (Orch) dans les microtubules neuronaux via des processus quantiques sensibles à la gravité.
4.2. Forces :
Nous avons là un modèle physico-biologique complet, explicatif des états altérés de conscience, basé sur des hypothèses testables.
4.3. Limites :
Leur modèle est très controversé, difficilement testable expérimentalement et dépendant de suppositions non confirmées sur la biophysique des microtubules.
4.4. Parallèle avec Strømme
Maria Strømme partage avec Penrose l’idée que la physique actuelle est incomplète et que la conscience n’est pas réductible au cerveau.
Mais :
- Pour Penrose, la conscience est un phénomène physique spécial.
- Pour Strømme, la conscience est la base de toute physique.
Orch-OR est donc plus proche d’un physicalisme élargi, là où Strømme adopte un idéaliste non-duel.
-
Théories informationnelles : It from bit (Wheeler), univers informatique (Lloyd)
La physique comme calcul, l’univers comme information
5.1. Wheeler : “It from bit”
John Wheeler a défendu l’idée que l’information est plus fondamentale que la matière et que l’univers est un processus de réponses à des questions posées quantiquement.
5.2. Seth Lloyd : l’univers comme ordinateur quantique
Lloyd pousse l’idée au bout. Selon lui, l’univers n’est pas comme un ordinateur : il est littéralement un processus de calcul quantique.
5.3. Convergences avec Maria Strømme.
Trois points principaux se dégagent :
- L’information est fondamentale.
- La matière émerge de traitements d’information.
- L’espace-temps est dérivé.

John Wheeler
Mais Strømme va plus loin :
Là où Wheeler dit “It from bit” (ça vient de peu), Strømme dirait “Bit from Mind” (un peu de l’esprit).
5.4. Conclusion du parallèle
Les modèles informationnels sont les plus proches structurellement du modèle Strømme — mais il leur manque la dimension consciente. Ils décrivent bien l’architecture, mais ignorent le vécu.
-
Positionnement global : où se situe Marai Strømme ?
Maria Strømme occupe une place singulière dans le paysage actuel.
Elle ne se réduit pas au spiritualisme. Elle s’appuie sur des concepts physiques (symétrie, émergence, champs).
Elle ne se réduit pas à l’idéalisme analytique. Elle propose un modèle tripartite unique et une dynamique de manifestation.
Elle dépasse le panpsychisme. Pour elle, pas de micro-consciences : une unité fondamentale.
Elle dépasse les modèles neuro-quantiques. Toujours selon elle, le cerveau n’est pas une “machine à quantum”, mais une interface.
Elle dépasse les modèles informationnels : l’information n’est pas première : elle est subordonnée à la conscience.
Conclusion : Une théorie hybride, à la frontière des paradigmes
Le modèle de Maria Strømme peut être compris comme une synthèse transdisciplinaire idéaliste dans son fondement, informé par la physique contemporaine, attentif aux neurosciences, nourri par le non-dualisme philosophique, structuré comme un champ unifié de manifestation.
Il ne possède pas encore la rigueur formelle des modèles physiques.
Il n’offre pas les prédictions expérimentales des théories neuroscientifiques, mais il fournit un cadre conceptuel cohérent qui parle autant aux physiciens qu’aux philosophes, et qui redonne une place centrale à l’expérience consciente.
Dans le prochain et dernier article de cette série, nous examinerons les limites, critiques et défis du modèle, ainsi que ses perspectives futures dans un paysage scientifique en pleine mutation.
Aller plus loin et consulter l’intégralité des articles de cette série :
En libre accès :
Article de base :
Maria Strømme : Une scientifique à la croisée de la physique, de la biologie et de la métaphysique
Article 1.
Quand la conscience devient la trame du réel : vers un nouveau paradigme scientifique ?
Article réservé aux abonnés ou aux lecteurs de la revue 139 :
Article 2.
Aux sources de l’être : peut-on décrire scientifiquement une conscience universelle ?
Article 3.
Quand le cosmos jaillit de la conscience : vers une physique de l’espace-temps émergent
Article 4.
Sommes-nous des “fenêtres” sur la conscience universelle ?
https://parasciences.net/sommes-nous-des-fenetres-sur-la-conscience-universelle/
Article 5.
Idéalisme analytique, panpsychisme, information intégrée : où situer le modèle Strømme ?
Article 6.
Une métaphysique scientifique en devenir : limites, critiques et perspectives du modèle Strømme
S’abonner à la revue Parasciences :
https://jmgeditions.fr/produit/abonnement/
Acheter le numéro 139 de la revue Parasciences
https://jmgeditions.fr/produit/parasciences-n139/
No Comment