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Amityville : aux sources d’un mythe noir

David Didelot, une vie avec l’affaire, un livre pour tout comprendre.

Amityville n’est pas seulement un crime, une maison ou une légende : c’est un séisme culturel qui n’a jamais cessé de faire vaciller les esprits.

Passionné d’horreur depuis l’enfance, David Didelot plonge au cœur de l’affaire et en dévoile les zones d’ombre, les mensonges, les dérives et les fascinantes contradictions. Avec son nouveau livre que nous venons de publier, il signe l’enquête la plus complète en français sur l’un des mythes les plus obsédants du XXe siècle.

Il y a des obsessions qui traversent les années comme une ligne de force. Pour David Didelot – écrivain et figure bien connue des amateurs de “cinéma bis” – Amityville n’est pas seulement une affaire criminelle ni un mythe horrifique : c’est un fil rouge, un choc fondateur, une présence continue dans son imaginaire et dans son parcours d’auteur. À cinquante-quatre ans passés, celui qui a grandi entre Star Wars et les VHS d’horreur revient sur ce territoire hanté avec un livre majeur, un documentaire complet et rigoureux consacré à l’affaire, paru en octobre 2025. Une enquête minutieuse, dense, critique, qui revisite soixante ans d’une histoire obscure qui a défrayé la chronique : la ville, la maison, les meurtres DeFeo, la famille Lutz, les Warren, les théories, les films… et l’inextricable tension entre rationalité et surnaturel.

Car si David Didelot aime l’horreur, l’érotisme débridé, les littératures qui “tachent” et les cinémas marginaux, il n’en reste pas moins un enquêteur méticuleux, nourri de documentation brute, d’archives, de coupures de presse… et de témoignages contradictoires. Ce nouvel ouvrage n’est ni une apologie du paranormal ni un simple compte rendu historique : c’est une cartographie complète de ce que fut et de ce qu’est encore Amityville, dans sa complexité, ses zones d’ombre, ses erreurs, ses mensonges, ses hypothèses et son influence culturelle. C’est aussi, à sa manière, le livre qu’il porte en lui depuis qu’il a dix ans.

L’obsession d’un enfant

Pour comprendre l’ampleur du projet, il faut revenir en arrière. À la fin des années 70, tandis que la France découvre les premières traductions de Jay Anson, David a dix ans. Comme beaucoup de gamins de son âge, il est trop jeune pour lire de la littérature d’horreur… mais cela ne l’empêche pas de subtiliser à sa mère Amityville, la maison du diable, paru en France en 1979. Cette lecture clandestine agit comme un électrochoc. Après ce livre, “tout a basculé”, raconte-t-il dans l’entretien qu’il a accordé sur YouTube dont est tirée la matière première de cet article.

La saga cinématographique ne tardera pas à amplifier la fascination du jeune David. Les deux premiers films, découverts peu après, laissent en lui une empreinte durable. Au collège, il en discute avec ses amis comme d’autres parlent de La Guerre des étoiles. Dès l’adolescence, il compile coupures de presse, photos, anecdotes, dossiers spéciaux dans les magazines. Très tôt, il comprend que cette affaire ne ressemble à aucune autre : une ville tranquille, un parricide incompréhensible, une maison qui semble absorber toutes les peurs, une famille qui dit avoir vécu 28 jours d’enfer, des enquêteurs du paranormal, des contradictions policières, des films qui nourrissent la légende… et surtout, cette impossibilité de trancher entre fait divers et phénomène paranormal.

Pendant des décennies, il continue de suivre le dossier. Il publie un fanzine consacré à toute la saga, contribue à des émissions de radio et de télévision, écrit des romans – notamment Destination Amityville (Faute de Frappe, 2024), fiction qui s’emparait déjà de la mythologie du lieu –, et observe, année après année, l’évolution de ce phénomène culturel unique.

Le livre documentaire que nous venons de publier s’imposait presque de lui-même : mettre de l’ordre, explorer, regrouper, analyser, raconter l’affaire dans sa totalité, sans sensationnalisme, mais sans pour autant nier les inconnues qui la rendent irrésistible.

Revenir à la source : la ville, le sol, l’histoire

L’un des choix les plus forts du livre est de commencer avant les meurtres, avant les Lutz, avant l’immersion des caméras. Revenir à la genèse : Qu’était Amityville avant 1974 ? Qui vivait là ? Que représentait cette ville ?

Didelot s’intéresse aux origines de la localité, à son développement, à ses liens inattendus avec la France – notamment son jumelage avec Le Bourget, détail pittoresque qu’il avait découvert des années plus tôt et qui inspira en partie son roman. Il examine l’histoire du quartier d’Ocean Avenue, s’interroge sur ce qui existait avant le 112 : le terrain, les premières constructions, les récits populaires faisant référence à un éventuel cimetière ou à un lieu de mise à l’écart pour les malades amérindiens.

Car dès les années 70, plusieurs théories ont circulé : le terrain sur lequel se déroulèrent les faits aurait été maudit, hanté. Il aurait été utilisé par les Indiens Shinnecock pour y isoler malades et déments ; ou encore, il aurait abrité des sépultures anciennes. Ces éléments, souvent avancés lors des enquêtes paranormales, sont réexaminés à la lumière des archives. Didelot découvre que des coupures de presse mentionnaient effectivement, à la fin du XIXe siècle, la découverte d’ossements amérindiens dans le secteur – documents que certains chercheurs affirment introuvables aujourd’hui. Enquêteur prudent, il décrit ces pistes sans les valider, mais souligne combien elles ont contribué à nourrir les fantasmes.

Il revisite également une rumeur tenace : celle d’un sorcier venu de Salem, John Ketcham, qui aurait pratiqué des rituels dans la région au XVIIe siècle. L’auteur démêle les faits : un homme de ce nom a bien existé, mais il n’était qu’un simple colon ; les légendes associées semblent surtout découler de constructions littéraires tardives. Là encore, David Didelot cherche le vrai dans la fable, mais sans écarter l’importance de cette fable dans la construction du mythe.

Le cœur de l’horreur : les meurtres DeFeo

Il est bien sûr impossible d’aborder Amityville sans revenir au drame fondateur survenu la nuit du 13 novembre 1974, où Ronald “Butch” DeFeo, 23 ans, abat méthodiquement ses parents et ses quatre frères et sœurs.

Là encore, Didelot adopte une approche critique : minutie du déroulé temporel, contradictions dans les dépositions, reconstitution des faits, interrogations persistantes. Une question obsède les chercheurs depuis cinquante ans : pourquoi personne n’a entendu les coups de feu ?
Les voisins n’ont rien perçu, alors que l’arme utilisée produisait un bruit estimé à 140 décibels.

Didelot expose les hypothèses les plus sérieuses : une peur paralysante chez les voisins ; l’aura intimidante du père DeFeo, réputé violent et lié à la mafia ; la possibilité que certains aient cru à un règlement de comptes ; ou encore le rôle éventuel d’un orage survenu ce soir-là… bien que cela ne suffise pas à couvrir de telles détonations.

Autre mystère : l’absence totale de lutte. Le massacre se déroule sur deux étages, en moins d’un quart d’heure, sans trace de fuite ni de résistance – sauf peut-être de la part du père. Là encore, l’auteur explore plusieurs théories, dont la plus troublante : celle d’une implication partielle de Dawn DeFeo, la sœur aînée. Certaines analyses médico-légales laissent penser qu’elle aurait été tuée après les autres. Des résidus de poudre non brûlée auraient été retrouvés sur sa chemise de nuit. Didelot expose ces arguments, tout en rappelant que les versions fluctuent au gré des déclarations contradictoires de Ronald DeFeo – menteur chronique et drogué notoire.

“L’affaire ne sera probablement jamais complètement résolue”, conclut-il. C’est l’un des grands axes du livre qui consiste à ne pas trancher arbitrairement mais à éclairer toutes les pièces du puzzle, y compris celles qui ne s’emboîtent pas !

Les Lutz : 28 jours de terreur et une personnalité trouble

Après les meurtres vient l’autre pilier du mythe : l’emménagement de George et Kathy Lutz, le 18 décembre 1975, avec les trois enfants de Kathy. Vingt-huit jours plus tard, ils s’enfuient précipitamment, affirmant avoir été victimes de manifestations effroyables. Le livre que Jay Anson (1977) consacra à l’affaire fera le tour du monde.

Didelot revisite l’ensemble du dossier : témoignages, contradictions, interviews ultérieures, démentis, évolutions dans les récits. Il se penche notamment sur la figure de George Lutz, très différente de l’image du père courage propagée dans le livre d’Anson. Les propos du beau-fils Daniel Lutz, notamment dans le documentaire My Amityville Horror (2012), ainsi que plusieurs témoignages familiaux, dépeignent un homme autoritaire, brutal, instable, passionné d’occultisme, obsédé par la méditation transcendantale et par la dimension mystique du lieu.

Selon plusieurs sources familiales – dont la sœur de Kathy Lutz –, George s’intéressait aux pratiques ésotériques avant même d’acheter la maison et semblait fasciné par les meurtres DeFeo. Didelot raconte à ce propos une anecdote révélatrice : George aurait insisté, lors d’une balade à vélo, pour rendre visite au célèbre occultiste Raymond Buckland, fondateur du premier musée américain de la sorcellerie.

Ces éléments, loin de résoudre l’affaire, le complexifient et offrent une lecture alternative : la maison hantée n’est peut-être pas seule à avoir “agi” dans l’esprit des Lutz.

Les Warren : entre expérience mystique et scepticisme scientifique

L’un des épisodes les plus célèbres du dossier remonte à la nuit du 6 au 7 mars 1976, lorsque le couple Ed et Lorraine Warren, accompagnés d’une équipe de Channel 5 et de plusieurs enquêteurs, passe une nuit dans la maison vide.

Didelot restitue les récits croisés :

– Pour Lorraine Warren, médium reconnue, la maison était “un véritable enfer”, saturée de forces sombres.

– Ed Warren, le mari de Lorraine, affirme avoir été violemment poussé au sol dans le sous-sol.
– Lorraine, dans la chambre de Ronald DeFeo, ressent la présence du défunt.
– Dans la chambre parentale, elle dit voir “du sang partout”.

Mais l’auteur rappelle aussi que d’autres témoins présents cette nuit-là (scientifiques de l’université Duke, techniciens de la chaîne, stagiaires, journalistes…) n’ont rien perçu : Certains en conclurent qu’il s’agissait d’un simple exercice télévisuel, sans base réelle notable.

Ce contraste est au cœur du livre qui présente une affaire où chaque version s’oppose à une autre, où le sensationnalisme côtoie la prudence scientifique, où les ressentis ne recouvrent pas forcément les faits.

Entre rationalité et surnaturel : le point de vue de David Didelot

Didelot ne se revendique ni croyant fervent, ni sceptique militant. Il avance prudemment. Il rappelle que plusieurs parapsychologues sérieux, tels que Peter Jordan, ont estimé que la maison présentait peut-être des “phénomènes paranormaux de bas niveau”, amplifiés par les attentes psychiques, la peur, l’affaire DeFeo encore fraîche et la médiatisation internationale faite autour de cet ensemble sulfureux. Un cocktail suffisant pour produire des perceptions altérées.

Et pourtant, certaines coïncidences demeurent troublantes :

– la récurrence du chiffre 23 dans le dossier DeFeo ;

– des phénomènes rapportés par les Lutz dont la symbolique renvoie à des traditions ésotériques anciennes ;

– des traces photographiques et des anomalies techniques relevées lors des premières enquêtes.

David Didelot ne tranche pas. Il expose, compare, laisse le lecteur avancer sur un terrain instable. « Amityville » n’est pas un livre qui dit “croyez-moi”, mais un livre qui dit : “voici ce que l’on sait, voici ce que l’on ignore.”

Le mythe au cinéma : entre chefs-d’œuvre et dérives

Parce qu’on ne peut dissocier Amityville de sa carrière audiovisuelle, l’ouvrage consacre un long chapitre à l’exploitation culturelle du mythe. Didelot revient sur l’impact des premiers films, mais surtout sur son préféré : Amityville II : Le Possédé (1982), de Damiano Damiani. Ce fut un choc d’adolescence, une œuvre radicale, sombre, dérangeante, qui explore la spirale psychologique d’un jeune homme possédé par la violence familiale. Didelot en parle avec la précision d’un historien et la ferveur d’un fan : casting incroyable (Burt Young, Rutanya Alda, Jack Magner, Diane Franklin), ambiance glauque, scènes transgressives, esthétique italienne mêlant où la tragédie n’est jamais loin.

Il revisite également les suites, souvent décriées mais parfois réévaluées : Amityville 3D, les séries d’objets maudits, Amityville Dollhouse, et les tentatives modernes, du remake de 2005 au surprenant Amityville Murders (2018), que Didelot juge bien plus fidèle à l’esprit tragique des faits réels.

Ce chapitre souligne à quel point Amityville est devenu un univers, plus qu’une simple affaire : un décor, une idée, un archétype, qui se déploie dans des dizaines de films, souvent sans lien avec le réel.

Entre mythe et vérité : un livre-somme

Au terme de plus de quatre décennies de fascination, David Didelot livre avec ce livre bien plus qu’un simple ouvrage documentaire : c’est un travail d’historien populaire, nourri de passion mais gouverné par une exigence de véracité qu’il nous présente.

Il replace Amityville dans un ensemble :

– l’histoire criminelle américaine,

– l’effervescence ésotérique des années 70,

– la montée des fictions d’horreur domestique,

– la fascination médiatique pour les maisons hantées,

– les dérives commerciales qui transforment un fait divers en industrie culturelle.

Son livre redonne aussi une place à ceux qui y ont vécu après les événements : les familles successives, souvent lassées des curieux, parfois victimes d’événements tragiques (comme ce jeune Peter O’Neill, mort lors des attentats du 11 septembre). Il rappelle que la maison, malgré sa réputation, n’a plus jamais connu d’événements paranormaux déclarés mais qu’elle reste, irrémédiablement, une icône du mal, un lieu inscrit pour longtemps dans l’imaginaire mondial.

Une enquête définitive ?

Peut-on clore l’affaire Amityville ? Certainement pas.

Peut-on la raconter dans sa totalité ? Peut-être.

C’est ce que tente David Didelot.

Avec ce livre, il offre la synthèse que le public français attendait depuis longtemps : un ouvrage massif, documenté, sérieux, sans complaisance, écrit par quelqu’un qui a vécu le phénomène de l’intérieur, mais qui a pris le recul nécessaire pour démêler l’essentiel du superflu. Un livre qui se lit comme une histoire vraie, comme une enquête criminelle, comme une plongée dans la culture populaire… et peut-être aussi comme un avertissement sur notre fascination collective pour le mal.

À Amityville, il y a ce que l’on sait.

Ce que l’on croit.

Ce que l’on imagine.

Et ce que l’on projette.

Le livre de David Didelot n’apporte pas toutes les réponses mais il offre enfin le cadre, la profondeur et la rigueur qui manquaient à l’une des histoires les plus obsédantes du XXe siècle.

Pour découvrir le livre de David Didelot, il suffit de cliquer ici où sur la couverture du livre.

 

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Jean-Michel Grandsire

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