Enigmes historiquesHantisesHistoire et archéologie mystérieuseIncontournable

La source miraculeuse de Marie-Antoinette

Un article de Sylvie Havart

 

Dans son  livre Versailles hanté, disponible en librairie et sur notre site de vente, Sylvie Havart nous offre le travail le plus pointilleux et le plus abouti de tous ceux qui ont été consacrés aux cas de hantise liés à ce château mythique.

Il y est bien sûr question des apparitions du Trianon mais notre auteur va beaucoup plus loin en dressant un inventaire de tous les mystères liés à ce lieu qui fut le cœur de la France…

Cet extrait de l’ouvrage consacré à la source de Marie Antoinette en est le meilleur exemple !

« Le plaisir de partir à la découverte des bassins, des bosquets et de leurs eaux jaillissantes, au rythme de la musique. Fontaines, bassins, allées d’eau, grottes et nymphées font des jardins de Versailles un lieu enchanté voulu par le Roi-Soleil, qui fit venir les plus grands sculpteurs et fontainiers. Débordés d’imagination et de talent, ils ont su créer une miraculeuse fusion entre l’élément liquide et les sculptures des bassins, où dieux, déesses antiques et animaux fabuleux offrent un hommage sans cesse renouvelé à la grandeur d’un roi ».

C’est ainsi que le naturaliste Antoine d’Argenville (1680-1765), vante, dans son livre Voyage autour de Paris, la beauté du parc de Versailles, dont l’eau est la composante indissociable. Ce scientifique ignore que l’eau claire de Versailles est plus pure qu’il ne le croit, et possède des vertus médicinales. Une source d’eau ferrugineuse sera découverte, dans les années à venir, par un tout jeune sourcier, dans le parc de Trianon…

Depuis que Louis XVI lui a offert le Petit Trianon, au mois de juin 1774, Marie-Antoinette accorde de l’importance aux questions sanitaires. En cela, sa démarche est pionnière. Contrairement au règne de feu Louis XV, l’hygiène est désormais entrée dans les mœurs. Dans cette seconde moitié du xviiie siècle, il est à la mode de mener une vie saine, selon les préceptes du naturalisme de Rousseau. Aussi, la reine se met-elle en quête de l’eau la plus pure, destinée à sa propre consommation, dans son domaine de Trianon.

 

La source en 1921

Un radiesthésiste…

À cette fin, elle fait venir à Versailles un jeune radiesthésiste, dont on lui a vanté les mérites. Le prodige, jeune provincial, s’appelle Barthélémy Bléton. C’est un tout jeune adolescent. La tradition rapporte qu’il aurait découvert son talent tout à fait par hasard. Tandis qu’il était assis sur une pierre, il fut pris d’une violente fièvre. Il se leva, fit quelques pas et s’aperçut qu’en s’éloignant, son état fébrile disparaissait. Il revint s’asseoir sur la pierre. Aussitôt, la fièvre le reprit de plus belle. Le même phénomène se reproduisit à plusieurs reprises. Rentré chez lui, le jeune garçon en fit part à son entourage. L’idée fit mouche. Les villageois décidèrent de creuser sous la pierre. Aussitôt, de l’eau en jaillit avec force. Une source venait d’être mise à jour. Ceci permit au jeune Barthélémy de découvrir son don de sourcier. Or, la sourcellerie ou radiesthésie, son nom plus contemporain, n’est pas au goût du jour pour les chantres du Siècle des Lumières. Les scientifiques de l’époque estiment que ce métier appartient à un monde désuet teinté de superstitions. La recherche de l’eau, à l’aide de baguettes de coudrier, relève encore, pour ces esprits qui se disent « éclairés », des arts divinatoires.

La sourcellerie plonge ses racines dans la nuit des temps. Depuis l’Antiquité, les sources, identifiées à la déesse mère, ont toujours été recherchées par l’humanité. Certains historiens ont émis l’hypothèse que, dans le judaïsme, le sceptre symbolique des rois pourrait avoir été une simple baguette de sourcier. Dans l’Ancien Testament, ne voit-on pas Moïse, un bâton à la main, faire jaillir une source en plein désert ? Les archéologues sont convaincus que dans l’Égypte antique, la baguette et le pendule étaient utilisés pour la recherche de cette eau si précieuse, dans les contrées désertiques. Les légions romaines partaient en campagne avec leurs propres sourciers, afin d’être approvisionnées en eau, sans être ralenties par d’encombrantes citernes. Dans la Chine ancienne, un empereur était réputé pour avoir découvert de nombreuses sources. La culture du riz étant tributaire de la présence d’eau dans la terre, cet empereur contribua à développer les richesses alimentaires de son pays. D’où sa réputation favorable auprès de son peuple.

Un sourcier au XVIIIe siècle

À partir du Moyen Âge, la donne change. Le christianisme place désormais les sources sous la protection d’un saint. Les fontaines aux vertus curatives sont considérées comme miraculeuses. Nombre d’églises ont été érigées sur des nappes d’eau souterraines. Malades et pèlerins viennent de loin, pour obtenir la guérison de leurs maux. De tout temps, les sources miraculeuses ont été l’objet de superstitions. Ce n’est pas un hasard si la pratique de la radiesthésie fut baptisée sourcellerie, terme proche de la sorcellerie. Raison pour laquelle la sourcellerie fut longtemps proscrite par l’Église, les contrevenants risquant l’excommunication ! En France, de nombreux villages et lieux-dits incluent le mot « fontaine », préféré au substantif « source ». Autrefois, après avoir capté une source, on l’acheminait jusqu’au village par des conduites de pierre. C’est ainsi qu’étaient alimentées les fontaines, où les habitants venaient puiser l’eau. Elles servaient aussi à abreuver le bétail. Est-ce par superstition que l’on nomma les sourciers des rhabdomanciens, terme dérivé du grec rhabdos qui signifie bâton et manteia la divination. Ce qui démontre bien que le bâton et la baguette de bois ont été utilisés de longue date pour la recherche de l’eau.

Un étrange grimoire

En 1521 paraît un étrange grimoire. Le Dragon Rouge est la première méthode connue d’utilisation de la baguette de sourcier. En voici un extrait : « Dès le moment où le soleil paraît sur l’horizon, vous prendrez de la main gauche une baguette vierge de noisetier sauvage et la couperez de la main droite en trois coups en disant : Je te ramasse au nom d’Élohim, Mitraton, Adonay et Semphoras, afin que tu aies la vertu de la verge de Moïse et de Jacob, pour découvrir tout ce que tu voudrais savoir. » Le grimoire indique également l’arbre à utiliser, le coudrier communément appelé noisetier, considéré comme un arbre magique. Il faut ensuite choisir le moment propice, pour couper une branche se terminant par une fourche. Pour qu’elle puisse exercer ses pouvoirs, il convient de rendre la baguette active : « Vous emporterez la baguette dans votre chambre, ensuite vous chercherez un morceau de bois que vous rendrez de même grosseur que les deux bouts de la véritable baguette et que vous porterez chez un serrurier, pour faire ferrer les deux petites branches fourchues avec une lame, en faisant attention que les deux bouts soient un peu aigus, lorsqu’ils seront posés sur le morceau de bois ».

Une sombre affaire

Au xviie siècle, une sombre affaire va illustrer la difficulté pour un sourcier d’exercer ouvertement ses talents. Il s’agit de la mésaventure expérimentée par les époux Beausoleil. Jean du Châtelet, baron de Beausoleil, est un passionné de radiesthésie et de minéralogie. Connu pour sa prospection de minerais dans la campagne, il a initié sa femme à cette passion. Ensemble, les époux prospectent mines et carrières des environs, une baguette de coudrier à la main. Leurs recherches sont fructueuses. En témoignent les cent cinquante carrières sondées en moins de dix ans ! En dépit de leurs trouvailles, les époux Beausoleil ne sont pas riches, bien au contraire. Leurs multiples prospections les ont ruinés. L’idée leur vient d’écrire à Richelieu, en rappelant, au passage, les services rendus à l’État. La liste de leurs découvertes est impressionnante : marbre de Bretagne, turquoise du Quercy, cristal des Pyrénées, plomb argentifère dans la région de Foix. Cette énumération à la Prévert possède l’inconvénient de rendre le pouvoir royal débiteur des époux. Un concept inconcevable pour Louis XIV ! En guise de remerciements, l’ingrat Richelieu fait emprisonner les Beausoleil, accusés injustement de sorcellerie. On ne reverra jamais plus les deux époux, vraisemblablement jetés dans le cul-de-basse-fosse d’une quelconque prison… L’histoire des époux Beausoleil suscitera de multiples recherches sur la radiesthésie. Les qualités intrinsèques de la baguette s’étendent bien au-delà de l’art des sourciers. Le premier ouvrage sur le sujet, Le Traité du Bâton Universel, est rédigé en 1675 par un avocat du Parlement de Rouen, Jacques Le Royer. Ce traité, qui a fait date dans l’histoire de la radiesthésie, indique toutes les possibilités d’utilisation de la baguette. L’auteur affirme même avoir réalisé en public des démonstrations, prouvant les vertus de cet instrument. Cette prise de position officielle, venant d’un homme respecté, suscite un engouement soudain pour la sourcellerie, ouvrant de nouveaux horizons.

Réservoir d’eau situé sous le château de Versailles

Baguette divinatoire

En 1693, un certain abbé de Vallemont publie, à La Haye, un livre intitulé La Physique occulte, ou Traité de la baguette divinatoire et de son utilité pour la découverte des sources d’eau des minières. L’abbé, plus connu sous le nom de Pierre Le Lorrain (1649-1721), est un physicien. Son ouvrage présente la théorie et la pratique de la baguette divinatoire dans divers domaines : recherche de l’eau, des minerais et des monnaies d’or ou d’argent. L’ouvrage comprend également plusieurs pages sur l’usage du tabac, du narguilé et sur la lanterne magique, ancêtre du projecteur de photos.

En 1780, un médecin de Nancy, le docteur Thouvenel, apprend par le bouche-à-oreille qu’un radiesthésiste est parvenu à localiser une source, sans la moindre baguette de coudrier. Curieux, le médecin fait sa connaissance dans son bourg de Lorraine. En découvrant que cet intrigant radiesthésiste opère par le seul pouvoir de son corps, le docteur Thouvenel décide de consacrer toute son énergie à ce curieux phénomène. Il rédige, lui aussi, un ouvrage, dont le titre révèle l’étendue de ses réflexions : « Mémoire physique et médical, montrant les rapports évidents entre les phénomènes de la baguette divinatoire, du magnétisme et de l’électricité ». Thouvenel est le premier médecin à établir un rapport entre la radiesthésie et l’électricité. Les bases de la radiesthésie scientifique sont désormais posées. Quant à l’identité du sourcier, objet de l’étude du Dr Thouvenel, il n’est autre que le jeune Barthélémy Bléton, que Marie-Antoinette convoquera peu après à Versailles. Quelques années plus tard, Antoine Clément Gerboin, professeur à la Faculté de Médecine de Strasbourg, publiera un mémoire « Force particulière qui existerait en l’homme ». Chose inhabituelle, les travaux de Gerboin se basent sur les caractéristiques du pendule. C’est à cette époque qu’en matière de sourcellerie, le pendule commence à détrôner la baguette de coudrier. Utilisé en radiesthésie, le pendule représente une forme de perception permettant la détection de sources, de matériaux, voire de corps humains disparus. La croissance des pratiques occultes fera du pendule l’un des supports les plus utilisés par la voyance. Petit à petit, ces études scientifiques tendront à démontrer que la découverte de points d’eau, par les sourciers, ne peut plus être attribuée au hasard, à la sphère divine ou a contrario celle du diable !…

Retour au Trianon

Retournons plutôt au domaine de Trianon. À mesure de l’extension du domaine, les jardiniers du Hameau appréhendent la sécheresse de l’été, durant laquelle l’eau se raréfie. Cette pénurie engendre un lourd préjudice pour le végétal, et plus particulièrement pour les roses que la reine chérit tant. Sous l’inspiration rousseauiste, Marie-Antoinette aspire à un retour à la nature. À Trianon, elle apprécie la tendre verdure des prairies et les frondaisons des arbres. Saules, chênes, ormes, bouleaux et hêtres abritent de leur ombre protectrice menthe sauvage, prêle et sauge médicinale. Héritière du jardin botanique créé par Louis XV, la reine s’attache à acclimater les essences exotiques rapportées par les expéditions maritimes, qui sillonnent les mers à la demande de Louis XVI.

Afin de favoriser la pousse, une eau de bonne qualité est indispensable pour le sophora de Chine, le tulipier de Virginie, le magnolia de Louisiane, le séquoia de Californie, le cèdre du Liban, l’ananas des Antilles, et la fraise sauvage du Chili. Marie-Antoinette a entendu parler de ce jeune Barthélémy Bléton, ce jeune prodige qui posséderait, dit-on, le don de détecter les veines d’eau souterraines. Convoqué à Versailles, l’adolescent localise rapidement la source, à proximité du Temple de l’Amour. Il est même capable d’en préciser le débit. Sa main est étalonnée, pour apprécier la profondeur de la source. Sous les yeux d’une assistance médusée, le précieux liquide jaillit de terre. Analysée en 1783 par la Société Royale de Médecine, l’eau de la source s’avère exceptionnellement ferrugineuse. Sa mission accomplie, Barthélémy laisse sa place à un puisatier expérimenté. Bientôt, la nouvelle se répand dans le royaume. Une eau aux vertus miraculeuses vient d’être découverte dans le sous-sol de Trianon ! L’eau de Marie-Antoinette devient célèbre. La foule afflue.

Le Hameau de la Reine au crépuscule (photo de Sylvie Havart)

Des vertus avérées

Selon la Faculté, les vertus médicinales de l’eau de Trianon sont avérées. Elle soigne les maux d’estomac, les laryngites, l’embonpoint, les affections nerveuses, et possède même des propriétés antalgiques. Malheureusement, toute médaille a son revers. La reine est rattrapée par le succès. Celle qui, il y a peu, goûtait encore le calme de son refuge, loin du tapage du château de Versailles, se retrouve envahie par les carrosses amenant les buveurs d’eau. Marie-Antoinette a l’idée de faire jaillir la source hors du parc, afin que la population puisse jouir librement des bienfaits de l’eau minérale, sans pour autant accéder au Hameau. Une fontaine est donc construite, son eau dirigée jusqu’au mur de clôture, où elle se déverse dans une grotte voûtée abritant un bassin. Le trop-plein s’évacue dans le fossé, qui entoure le domaine. Ce dispositif permet à l’eau de sortir du mur d’enceinte compris entre le Petit Trianon et la Porte Saint-Antoine.

Une eau réputée

Après la Révolution française, la source miraculeuse ne tombe pas dans l’oubli. En 1797, une publication sur l’origine des eaux de Versailles évoque la réputation dont la source de Marie-Antoinette a bénéficié sous l’Ancien Régime. En 1846, Adolphe Chatin, pharmacologue renommé, fait part de ses travaux à l’Académie des Sciences. Il compare l’eau de Trianon à celles les plus renommées en Allemagne, telles Wiesbaden et Spa. En 1851, le Ministère de l’Agriculture fait restaurer la fontaine, qui redevient un lieu très fréquenté. Cependant, faute d’entretien, l’accès à la source sera progressivement délaissé, puis définitivement abandonné. Dans les années 1920, la fontaine existait encore.

De nos jours, le service des archives du château s’intéresse de nouveau à cette fontaine, dans le cadre de la mise en valeur du Hameau de la Reine. En 2005, une équipe de fontainiers du Domaine de Versailles parvient à localiser la source disparue. Le système de canalisations et de réservoirs du xviiie siècle est mis à jour. À l’heure actuelle, le Domaine, grâce à ses fontainiers, poursuit toujours ses investigations sur cet exceptionnel patrimoine hydraulique.

En ce XXIe siècle, il n’est bien sûr plus question d’envoyer au bûcher les sourciers ! Néanmoins, les opposants à la radiesthésie sont toujours aussi virulents. Il est dommage que la communauté scientifique renâcle à reconnaître leur efficacité. Pourtant, Charles Richet (1850-1935), prix Nobel de physiologie, rappelait, avec le plus grand sérieux, l’efficacité de la sourcellerie. Quant au physicien Yves Rocard, initiateur du programme nucléaire français, il publia, en 1962, un livre sur le sujet, intitulé Le Signal du Sourcier.

Marie-Antoinette aura eu raison de croire en son intuition, lorsqu’elle accorda sa confiance à un jeune radiesthésiste. Son eau de source témoigne, en tous les cas, du goût de l’époque pour le thermalisme. L’eau miraculeuse de la reine pourrait bien couler de nouveau dans le parc du Petit Trianon. Une résurrection, qui aurait fait plaisir à la reine…

Cet article est extrait du livre de Sylvie Havart Versailles hanté, guide à l’usage des chasseurs de fantôme, publié chez JMG éditions.

Ce livre est disponible en suivant ce lien

  • Table des matières de cet ouvrage 
  • Introduction
  • De pierre et de sang
  • Saint-Germain, l’Immortel
  • Violettes impériales au Petit Trianon
  • Quand les couloirs du temps s’ouvrent à deux Anglaises
  • Le fantôme de la duchesse de Fontanges
  • L’infernal baquet de Mesmer
  • Des Communards spectraux à l’Orangerie
  • De funestes présages
  • La marquise d’Urfé, une excentrique sous l’Ancien Régime
  • Et Satan s’invita à la Cour
  • Les hallucinations de Louis XIII
  • Louis XIV et le spectre du Grand Veneur
  • Les inquiétantes chaumières du Hameau
  • Le Cardinal qui se voulait magicien
  • Aux origines sanglantes du château
  • La Galerie des Glaces, un mortel reflet
  • Madame de Pompadour consulte une voyante
  • Rendez-vous dans la grotte
  • L’horoscope de Louis XIV selon Campanella
  • L’énigme de la bouteille de Leyde
  • Le Régent, prince de la magie noire ?
  • La source miraculeuse de Marie-Antoinette
  • Petit Trianon : fantômes à tous les étages
  • Le plafond du suicidé
  • Les jardins de Versailles, un message alchimique ?
  • Des Mérovingiens à Versailles
  • Il était une fois un initié, Charles Perrault
  • Le diamant maudit de Louis XIV
  • L’étrange automate de Marie-Antoinette
  • Conclusion
  • Index
  • Bibliographie
  • Webographie
Previous post

La première apparition publique de François Brune

Next post

Interview d'Anabela Cardoso

The Author

Sylvie Havart

Sylvie Havart

No Comment

Leave a reply