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Yves Lignon et la transcommunication

Interview d’Yves Lignon par jean-Michel Grandsire

Yves Lignon – bien qu’il n’y ait jamais participé – a joué dans l’histoire de Parasciences et de la transcommunication un rôle de catalyseur qui mérite d’être développé.

Nous nous en expliquons dans cette interview qu’il m’a accordée à l’occasion de la sortie de son livre Petit guide scientifique du voyageur au pays du paranormal.

Si j’ai bonne mémoire, c’était en en 1988.

Je venais de « lancer » le premier numéro de la revue que vous tenez entre les mains.

À l’époque, une émission faisait le buzz à la télévision. Animée par Christophe Dechavanne, « Ciel, mon mardi ! » rassemblait de nombreux téléspectateurs dont je faisais partie.

Un soir, en regardant cette émission populaire, j’ai découvert un étrange curé venu présenter son livre intitulé Les morts nous parlent. Le débat opposait le père Brune à un universitaire toulousain dont j’avais déjà entendu parler : Yves Lignon.

Je n’ai jamais revu cette émission qui allait faire basculer le destin de Parasciences, et le mien en l’occurrence, mais je me souviens d’une critique récurrente adressée à François Brune par Yves Lignon à propos des phénomènes de transcommunication : « Votre dossier n’est pas suffisamment étayé ».

Des années durant, elle a trotté dans ma tête jusqu’à aujourd’hui où, à l’occasion de la sortie d’un livre consacré au paranormal par le même Yves Lignon, je la ressors des tréfonds de ma mémoire pour savoir si, selon lui, le dossier de la transcommunication est suffisamment étayé et si les arguments qu’il va me soumettre au cours de cette interview le sont.

JMG : Votre livre est un ouvrage généraliste qui fait un inventaire des phénomènes paranormaux observés par le scientifique que vous êtes.

Vous y traitez, en six pages, de la transcommunication. Pensez-vous avoir fait le tour, en si peu de pages, d’un phénomène aussi complexe ? Je vous propose de ne parler ici que de l’aspect technique et des analyses scientifiques du phénomène. Pensez-vous, après réflexion, qu’il serait utile de préciser votre propos en approfondissant justement cet aspect de la TCI ?

Yves Lignon : Diantre ! Dire que mes amis ufologues me reprochent de n’avoir consacré qu’une page à l’hypothèse extraterrestre ! Je leur réponds (et vous réponds donc aussi) que la place occupée par un dossier est indépendante de l’intérêt que je lui porte personnellement. La prémonition de Morgan Robertson (naufrage du « Titanic ») n’occupe elle aussi qu’une page et Nostradamus onze alors que j’ai travaillé plusieurs années sur l’une et sur l’autre.

Par contre, j’ai voulu insister sur la progression de l’étude scientifique des divers dossiers. La TCI rentre dans une catégorie, disons, pré-scientifique.

A savoir un grand nombre d’observations à prendre obligatoirement en compte (quoique plus souvent du type « incontrôlé » que du type « contrôlé ») mais pratiquement rien au niveau suivant, celui de l’analyse « in vitro ». Peu d’études indépendantes et peu d’articles dans des revues scientifiques à comité de lecture alors que l’abondance des deux marque le passage de la simple compilation de témoins au stade de l’investigation rationnelle.

Un sujet mal étudié

Ainsi l’étude scientifique de la transcommunication est beaucoup moins avancée que celle des « Expériences de Mort Imminente » et c’est bien dommage car, tels qu’ils sont décrits habituellement, les deux phénomènes renvoient à l’interrogation sur la continuité de la conscience après la mort.

JMG : Il n’y a aucun reproche dans ma question. Juste un besoin de précision car, à vous lire, on a l’impression que le sujet est plié du fait de l’absence d’analyses scientifiques sérieuses. La seule à laquelle vous semblez vous référer est celle conduite par Imants Baruss et qui s’est avérée négative.

Or, Rémy Chauvin, un ami commun, dont les compétences scientifiques ne sauraient être remises en cause, a beaucoup étudié le sujet. Il lui a même consacré un livre coécrit avec François Brune (À l’écoute de l’au-delà, éd. Oxus, 2003).

J’ai eu l’occasion d’accompagner Chauvin en 1991-1993 lorsqu’il a effectué plusieurs enquêtes passionnantes auprès des transcommunicateurs allemands. Il prenait le sujet très à cœur.

Dans son livre, il présente plusieurs résultats d’analyses vocales qui confirment le caractère paranormal, ou tout au moins inexplicable par nos connaissances actuelles, d’un grand nombre de voix obtenues en TCI.

Friedrich Jürgenson, le premier à avoir popularisé la transcommunication. Il a été testé avec rigueur par le professeur Hans Bender…

Jürgenson chez Bender…

Ces expériences ont été menées par des scientifiques reconnus. (Bender en 1964-1965 avec Jürgenson, Alexander MacRae en Écosse, Carlos Eduardo Luz de São Paulo, etc.) Elles n’ont certes pas été publiées dans Nature, mais cela n’enlève pas le sérieux des investigateurs.

Pourquoi n’en avoir pas fait état dans votre livre ?

  1. L. : Réponse simple. Parce que le fait d’être menée par un scientifique connu, sérieux et compétent ne suffit pas pour valider scientifiquement une étude.

De ma conviction que les phénomènes paranormaux sont des phénomènes naturels découle directement la conséquence suivante :

– Tout résultat relatif à un phénomène paranormal (rappel : phénomène dont la réalité est établie par des méthodes scientifiques mais dont aucune théorie scientifique actuellement connue ne rend compte), à commencer par l’existence de ce phénomène, ne peut être validé qu’en utilisant les pratiques standardisées, autrement dit les pratiques de la physique, de la biologie… à savoir la publication dans une revue à comité de lecture suivie de réplications.

Certes les grandes revues académiques peuvent refuser de publier un travail sur le paranormal pour des raisons purement idéologiques et non parce que ce travail est méthodologiquement critiquable. C’est pour cela que la communauté des chercheurs concernés s’est dotée de ses propres revues (1) dans lesquelles M. Chauvin, pour ne citer qu’un nom, a plusieurs fois publié, mais jamais à propos de TCI.

Je ne peux donc qu’insister sur ce que j’écrivais précédemment. L’étude de la TCI en reste à un stade primaire. On dispose de témoignages intrigants, d’études menées par des scientifiques compétents, mais qui restent non publiées selon les règles standardisées. Le stade suivant est évidemment celui des nouvelles investigations menées dans des conditions qui permettront la publication. Cette situation impose l’adoption d’une attitude zététique (au sens du grec Pyrrhon, pas au sens négationniste des scientistes français). Il faut suspendre le jugement parce qu’on se trouve en présence d’un ensemble de faits qui pourraient constituer une anomalie. Une suspension du jugement ne peut donc, rationnellement parlant, qu’être temporaire dans l’attente de la poursuite des recherches (2).

1991 : De gauche à droite : un inconnu, le transcommunicateur Adolf Homes concentré, Rémy Chauvin et François Brune… Une enquête passionnante d’où sortiront plusieurs ouvrages richement documentés.

JMG : Vous avez tout à fait raison de souligner la nécessité de faire preuve de rigueur. Toutefois, vous savez mieux que moi que, même la notoriété est insuffisante quand un scientifique sort des sentiers battus. Les professeurs Montagnier et Joyeux en savent quelque chose, pour ne parler que de cas d’actualité.

Nous savons d’autre part que la connaissance se fait souvent en dehors des sentiers battus et que les « revues à comité de lecture », si elles sont un gage de sérieux, sont elles-mêmes soumises à un certain devoir de réserve du fait de la pression idéologique.

Des découvertes importantes ont été faites en dehors des institutions dites « officielles » ; par exemple, les lois de Mendel sont restées 30 ans dans un tiroir avant d’être exhumées et ce ne sont pas, je pense, les revues à comité de lecture de l’époque qui se sont chargées de les exhumer.

Des études crédibles

Y.L. : Je ne suis pas d’accord avec « souvent en dehors des sentiers battus ». Ayant enseigné l’histoire et l’épistémologie des mathématiques, je préfère : « Si la recherche académique s’est toujours montrée productive, il est arrivé que l’avancement de la connaissance se fasse en dehors des sentiers battus ». Un exemple frappant, au xixe siècle, est celui des mathématiciens Augustin Cauchy (1789-1857) et Évariste Galois (1811-1832). Le premier, conservateur jusqu’à l’excès, a produit une œuvre importante en qualité et en quantité sans sortir des cadres institutionnels ; le second, exemple du chercheur restant en marge, est lui aussi un génie. Tous deux ont eu une influence bénéfique sur les générations suivantes. Cauchy tout au long de sa carrière, Galois bien après sa mort tragique. Il faut donc prendre avec précaution « sortir des sentiers battus ». Ne pas rejeter a priori ce qui vient de quelqu’un qui les quitte et ne pas poser, toujours a priori, que les quitter garantit la qualité des résultats.

Une image captée par Adolf Homes pendant l’enquête de Rémy Chauvin. Difficile de ne voir là qu’une simple illusion d’optique…

La notoriété ne protège pas du rejet

Ceci dit, il est certain que la notoriété ne protège pas du rejet pour des raisons idéologiques. C’est très visible dans le cas du Professeur Joyeux. Il est tout aussi exact que les « revues à comité de lecture » peuvent céder à des pressions qui n’ont rien à voir avec une démarche scientifique. Ici, je pense à la manière dont Nature a traité mon ami Jacques Benveniste. Comme je le disais plus haut, la solution de ce grave problème se trouve dans la création d’autres revues qui utiliseront, elles, les critères scientifiques sans hypocrisie. L’existence du Journal of Parapsychology et du Journal of the Society for Psychical Research a incontestablement joué un rôle favorable au moment de la reconnaissance de la parapsychologie par la communauté scientifique américaine en 1969.

JMG : Revenons à vous et à votre livre dont le titre comporte le mot « scientifique ».

Vous êtes l’un des rares scientifiques français à faire preuve d’ouverture d’esprit vis-à-vis du paranormal et je ne doute pas que vous ayez tout fait pour étayer le dossier de la TCI, justement parce que, dans ce cas précis, nous sommes potentiellement face à des faits tangibles et analysables (voix imprimées, images observables et, parfois même, reconnaissables, etc.)

Cela n’a pas dû manquer de retenir l’attention du chercheur que vous êtes.

Pouvez-vous me citer quelques exemples d’investigations que vous avez personnellement menées sur le phénomène ?

Ce n’est pas ma spécialité…

Y. L. : Je ne suis pas un spécialiste de l’étude des TCI puisque je travaille principalement sur la voyance et certaines formes de psychokinèse (guérisseurs). Quand je reçois des témoignages, je renvoie donc vers d’autres chercheurs que j’ai eu l’occasion de connaître par l’intermédiaire d’auteurs de livres ou de témoins d’autres phénomènes paranormaux. J’ai quelquefois eu l’occasion de faire analyser (sans succès) des enregistrements par le laboratoire d’acoustique de mon université. Peut-être les transcommunicateurs répugnent-ils à l’idée de m’envoyer du matériel parce qu’ils me perçoivent comme un scientiste alors qu’il n’est pas si difficile de constater que cette image est fausse. Les « expérienceurs » ont une attitude bien différente. Je suis très fier de la confiance que m’a manifestée Jean Morzelle quand il est venu me raconter son EMI après m’avoir entendu au micro. J’ai aussi donné un coup de main à Michèle Malka Lazès et à quelques autres pour leur permettre de publier leur histoire.

JMG : Je comprends cette réticence de la part des transcommunicateurs. J’ai souvenir de prises de position pour le moins tranchées de votre part, notamment face aux caméras de télévision. Mais il faut aller de l’avant et dépasser les clivages et ses propres réticences si l’on veut étayer solidement les dossiers, ne trouvez-vous pas ?

Les responsabilités sont partagées

Y. L. : On sait depuis le début de l’humanité que, dans ce type de malentendu, les responsabilités sont partagées et je suis conscient que mon tempérament (capricorne ascendant capricorne) a pu faire confondre ma volonté de rigueur avec de la rigidité. Je reste donc à la disposition des groupes de trancommunicateurs en souhaitant seulement qu’on ne me demande pas de mettre la charrue avant les bœufs, c’est-à-dire d’émettre des hypothèses tant que le moment n’est pas venu.

JMG : Je terminerai cet entretien par quelques questions :

Indépendamment des phénomènes de transcommunication, penchez-vous pour ou contre l’hypothèse de la survie d’une forme de conscience après la mort du corps physique ?

Y.L. : Vous évoquez l’hypothèse dite de « conscience non locale ». Elle est porteuse de conséquences révolutionnaires autant sur le plan scientifique que sur le plan philosophique. Son énoncé implique bien, comme vous le dites, la possibilité d’une continuité de la conscience quand la machine biologique qu’est le corps humain cesse définitivement de fonctionner. Refuser d’étudier cette hypothèse relève d’une attitude non scientifique car si elle est, un jour, définitivement validée, elle devrait permettre de connaître les lois de phénomènes aussi variés que les sorties hors du corps, les diverses formes de voyance ou l’action des guérisseurs. Ce serait déjà beaucoup. Il y a pourtant davantage. La validation de cette notion de « conscience non locale » conduirait rationnellement à admettre qu’une partie immatérielle de l’être humain peut encore exister après la panne finale de la machine biologique. La perspective est impressionnante.

L’absence de la France…

JMG : Vous avez fait état, au cours de cet entretien, de revues traitant les phénomènes paranormaux de manière scientifique. Aucune n’est française.

Comment expliquez-vous notre absence dans ce domaine alors qu’au début du xxe siècle nous étions à la pointe du progrès en la matière ?

Y. L. : Il y a plusieurs raisons à cette situation. Depuis la fin des années 1930, la communauté universitaire française est infectée par le scientisme. Ce faux rationalisme – prôné par des gens qui ne lisent de Descartes que le blanc entre les lignes – est une idéologie à la fois dominante et sans doute pas majoritaire (combien de collègues m’ont demandé discrètement l’adresse d’un guérisseur ou d’un voyant avant de s’abstenir prudemment lors d’un vote sur l’une de mes demandes de crédits pour la recherche en parapsychologie), mais le fait que ceux qui s’en réclament soient à portée de main des leviers de commande explique et permet de comprendre la frilosité de bon nombre de scientifiques. Ajoutez à cela la détestable mentalité gauloise qui rend la fédération des énergies très difficile. Je vais y revenir.

Sortir de l’ostracisme…

JMG : Quelles solutions préconisez-vous pour sortir de cet ostracisme ? La création d’un organe idéologiquement indépendant permettant aux chercheurs d’exposer les résultats de leurs travaux, suscitant des échanges non passionnels et des croisements d’informations – ce que j’essaie de faire à mon petit niveau avec cette revue d’information – serait-elle susceptible de dégripper la machine ?

Y. L. : Parasciences est indispensable et nécessaire parce qu’elle permet les débats d’idées (cette interview le confirme encore) et la diffusion d’informations à l’intention du grand public. En Grande-Bretagne existe de même Paranormal Review, édité par la prestigieuse Society for Psychical Research (le plus ancien organisme de recherche scientifique en parapsychologie). Il nous manque l’équivalent des publications que j’ai citées plus haut (Journal of the Society for Psychical Research et autres…) destinées avant tout aux chercheurs. À Toulouse nous avons tenté l’aventure pendant presque 20 ans avec la Revue Française de Parapsychologie. Nous comptions des personnalités aussi éminentes que John Beloff et Rémy Chauvin parmi les membres du comité de lecture et avons fini par fermer boutique un peu à cause du manque d’abonnés, beaucoup à cause de l’absence du soutien que nous attendions.

Un outil de recherche en perdition…

En serions-nous restés au temps de Vercingétorix ? Les chercheurs hautement diplômés s’intéressant au paranormal ne constituent certes pas une armée dans notre pays mais ils ne sont cependant pas invisibles et ils produisent. Il faudrait donc s’organiser au lieu de travailler chacun dans son coin parce qu’alors, une revue de bon niveau, s’adressant à un lectorat spécialisé, et reconnue par les grands centres de recherche anglo-saxons, serait viable sur le long terme.

Nous disposons pourtant, en France, d’un outil ayant fait ses preuves entre 1920 et 1940, une fondation reconnue d’utilité publique, dont la priorité absolue devrait être de structurer et coordonner l’activité de l’ensemble des chercheurs sans la moindre exclusive. Il saute aux yeux que cette fondation a malheureusement d’autres préoccupations et cela me rend très pessimiste.

Notes :

  1. Journal of Parapsychology, Journal of the Society for Psychical Research, Journal of Scientific Exploration pour les principaux.
  2. La publication d’Alexander Mac Rae (Journal of the Society for Psychical Research, octobre 2005.) est une indiscutable avancée (dans le sens de l’existence de la TCI) mais elle date de 12 ans et n’a pas encore donné lieu à réplications.

 

Alors… Un « dossier suffisamment étayé » ? On le constate à la lecture de cette interview : le dialogue est possible mais la recherche patine, par absence évidente d’un organisme suffisamment puissant pour fédérer et générer une recherche qui s’avère indispensable. Cela nous ramène directement à l’idée émise dans l’éditorial du numéro 107 de Parasciences d’où est extrait cet article… Il faudra bien un jour se décider à mettre les mains dans le cambouis !

Pour consulter le numéro 107 de la revue…https://jmgeditions.fr/index.php?id_product=430&controller=product&search_query=107&results=1

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